mercredi 9 février 2011

Dur dur d'être psychologue

Soyons sérieux 5 minutes.
Les psychologues sont en grève en ce moment.
Je suis psychologue.
Alors je vais vous sortir mon petit pamphlet, forcément orienté, forcément.
Si jamais vous n'avez ou aucun de vos proches n'a eu, si vous êtes convaincu que jamais vous n'aurez ou qu'aucun de vos proches n'aura jamais besoin de consulter un jour un psychologue, alors je vous en prie ne perdez pas de temps à lire ce qui suit...


Combien de fois m'a t-on demandé de travailler gratuitement?
Parce que notre métier est perçu comme un service et qu'une personne qui a fait le choix de ce métier est perçue de fait comme généreuse et sensible aux besoins des autres, ce qui est souvent le cas, bien sûr, il est souvent fait appel à notre compassion citoyenne (et gratuite) pour intervenir mais de la façon la plus expérimentée et professionnelle possible...
Somme toute combien de fois ai-je entendu parler d'un besoin criant de plus de psy, d'un psy dans un service, de groupes de paroles pour des patients, de groupes de paroles pour des soignants, de souffrance au travail et de besoin de psy pour intervenir dans le cadre de la formation.... ah ça oui plein de fois, mais il y a toujours une phrase derrière pour dire quelque chose de l'ordre de "mais on n'a pas le budget".
Il n'y a jamais de budget suffisant pour des psy.
Qui sont très nombreux à chercher du boulot, qui cumulent des quart-temps quand ils arrivent à concilier les planning, et donc qui courrent d'un job à l'autre, quand ils ont la chance d'avoir décroché suffisamment de postes pour avoir un équivalent temps plein. Car un temps plein dans ce métier, c'est de l'ordre de l'exceptionnel. Quand quelqu'un en a un il s'y accroche de toutes ses forces (quitte à se faire marcher sur la g... oui tout à fait,  bien trop souvent).

Combien ai-je de collègues qui cumulent des jobs alimentaires pour finir les mois, d'autant plus s'ils vivent seuls? Et quand je dis alimentaire, je pèse mes mots. Il y a celles qui bossent à mi-temps dans une boutique, celles qui font des repassages, des ménages et/ou des baby-sitting, celle qui ne chauffe pas sa maison, toutes celles qui ne partent jamais en vacances, celles qui reportent les désirs d'enfant. Non je n'exagère pas, j'ai des noms et des visages pour tout ces cas.

Combien ais-je de collègues en souffrance? En souffrance physique j'entends, et psychique, parfois?
Combien de collègues en libéral en surmenage (comme moi l'an dernier, oui oui), combien de cancer, de sujettes aux accouphènes (oui oui, comme moi) et j'en passe? combien prennent une pause pour déjeuner?

Combien de collègues hommes? Est-ce tenable, financièrement, porter un foyer sur un salaire de psy?

La France, du fait du papy-boom et des quotas de formation en médecine, va bientôt se retrouver en configuration de pénurie de psychiatres (en même temps que de pénurie de gynécologues et d'anesthésiste, ça va être la fête).
A l'heure où les français font partie des plus grands consommateurs de psychotropes au monde et où les généralistes sont totalement lacunaires sur la question de la santé mentale, à l'heure où la justice - et la société toute entière - réclame des prises en charge différentes, ou conjointes de certains troubles du comportement qui finissent par être délictueux, à l'heure où l'on perçoit toujours les addictions comme des vices que l'on condamne par de la prison alors que ce sont des maladies d'abord... Une loi propose par entre autre de ramener le statut du Psychologue, (qui a fait des études à risque puisqu'effectivement obtenir ce Titre se mérite après validation des 5 années d'études en psychologie... mais que si l'on s'arrête au bout de 3 ou 4 ans on a aucun métier à mentionner sur son cv) au rang de technicien.
A bon à bac +5 on  n'est pas censé être cadre?
Sans compter que nombre d'entre nous se sont spécialisés après ces 5 années d'études, et qu'en l'occurence la formation continue est inscrite dans le code de déontologie de la profession, à faire en dehors des heures de travail, of course.

Je me permet de rappeler que 5 ans de psychologie en long en large et en travers c'est beaucoup, que c'est une sacré spécialisation quand même.
Et que le psychiatre est un médecin qui a rajouté à son cursus classique 2 ans de spécialité en santé mentale, années qui incluent toute la pharmaco-psychologie (le psychologue, n'étant pas médecin, n'est lui pas prescripteur).
Qui des deux est-le plus à même, du fait de sa formation, d'entreprendre des psychothérapies? Un nouveau décret a décidé que c'est le psychiatre. C'est sûrement vrai alors!

Oui, les psychologues aiment les gens, souhaitent et peuvent les aider.
Oui c'est avec plaisir et compétences que nous accueillons les récits et pensées les plus intimes, que nous percevons les fragilités et que nous nous efforçons de permettre à chacun de repartir, au fil du temps, debout avec sa vie, ses fragilités, ses forces, et une meilleure connaissance de lui et de ses ressources pour affronter les vicissitudes de la vie et de son passé.
Non nous ne sommes pas juste des poubelles où venir dégueuler sa douleur parce qu'on paie alors on peut. Venez dégueulez votre douleur si vous voulez, acceptez qu'on regarde un peu la gueule qu'elle a, d'avoir quelque chose à en dire, et de nettoyer votre vie avec nous, ok
Les psychologues ne sont pas tous des cliniciens (moi si) et les souffrances et plaintes sont multiples dans la profession,  mais rien que sur la clinique libérale je pourrais vous en écrire des pages, mais juste pour finir:
Oui les psychologues sont là pour vous aider. Mais pour ça ils ont eux aussi besoin de soutien.
Par ce que les psychologues, ils font aussi ça... pour bouffer.

N. B: Ce message fait écho à celui de Tili.

10 commentaires:

Tili a dit…

Bravo ! :-)
Je suis en train de rechercher l'appel pour donner des précisions sur ce qu'ils veulent nous faire. Tu l'as ?
Bises

Plume a dit…

Pour compléter l'info:
- sur le mouvement de grève:
http://psycote.blog.lemonde.fr/2011/01/15/les-psychologues-en-greve-le-28-janvier-2011/

- sur le nouveau décret sur la profession de psychothérapeute:
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022244482&dateTexte=&categorieLien=id
(le tableau final vaut son pesant de cacahuète: le psychiatre est considéré d'office comme psychothérapeute. Tout le monde doit se taper des formations et des stages en plus, sauf lui. C'est pas magnifique? Un petit lexomyl? Vous avez l'air sur-excité et je sais pas quoi faire pour vous calmer... Et un médecin non-psychiatre sera psychothérapeute en 200h. Balèze le mec. Et un fleuriste peut si ça lui chante devenir psychothérapeute en 400h + 5 mois de stage, allons-y! Ca va être la grande fête du n'importe quoi!!!)

Et-fée-mère a dit…

Respect;)

Telle a dit…

Merci. J'étais passée à côté de ce décret.

Combien de fois ai-je dit à mes parents qu'in psychiatre n'était pas un psychologue... ?

Anonyme a dit…

Joli coup de gueule Plume !!
Ta colère paraît plus que légitime, mais tu vas te fâcher avec tous les labo-bos ;) !
Bob

zenondelle a dit…

Je constate en vous lisant que les économies se font sur le dos de tout ce qui devrait être au contraire favorisé culture, éducation, soin ...
Bon courage dans votre combat !

laloutre a dit…

Très sensible à votre colère. Mon papa est psychologue clinicien et me parle beaucoup des souffrances de ses jeunes collègues et des siennes ( mais lui se sent privilégié finalement, juste mis dans un placard ). Professeur de lettres et d'histoire de l'art, je compare mes peines et les siennes. Pas de budget, pas d'heures, pas de reconnaissance de la personne. Mais, tout va bien ! Je trouve que nous sommes dans une société qui exerce de très fortes pressions sur les gens, qu'il serait bon de se recentrer sur les "humanités". Mes élèves "vomissent" leurs angoisses, la violence de leur quotidien. Vos patients "dégueulent" leur vie. Nous tenons bon la barre, examinons, écoutons, mais pour garder un regard professionnel sur les êtres, il faut des formations, du temps, de l'argent, ...

Ciarlatano a dit…

Je comprends votre colère mais ne suis cependant pas d'accord avec vous.

L'accès au titre de psychologue (si tant est que cette profession dispose d'une quelconque légitimité) devrait être régi par un numerus clausus similaire à celui de PCEM1. L'inflation des diplômes serait ainsi réduite et l'accès à l'emploi rendu plus aisé.

Mais qu'importe, ce n'est pas là que se situe mon désaccord avec vous. La première chose qui m'a sauté aux yeux en vous lisant est la jalousie que vous nourrissez, comme tant d'autres psychologues, envers un praticien dont les compétences, le niveau d'études, le salaire et la reconnaissance dépassent largement les vôtres : le psychiatre. J'ai toujours senti que les psychologues étaient plus ou moins frustrés de ne pas avoir fait médecine et souffraient de leur image de "sous-psychiatre", mais je ne pensais pas trouver de témoignage si éloquent. Honnêtement, si l'on vous donnait au choix un diplôme de psychologue ou un diplôme de psychiatre, je pense que vous n'hésiteriez pas longtemps, et ce, même si vous ne me l'avouerez jamais ou alors pas pour les vraies raisons.

"Qui des deux est-le plus à même, du fait de sa formation, d'entreprendre des psychothérapies" ? Certainement pas le psychologue à mon avis. Et ce n'est pas la typologie ronflante propre à la psychologie, avec ses termes de "clinicien" ou de "neuropsychologue" (pas vraiment reconnu au passage), qui va masquer la vacuité de votre formation, tant au niveau de l'inconsistance et l'arbitraire de ses fondements que de sa méthodologie douteuse. Non, vous n'êtes pas médecin, ni même un quelconque soignant ! Vous n'avez pas une démarche scientifique parce que vous savez calculer une ANOVA ou une corrélation. Les statistiques sur lesquelles vous vous reposez ne démontrent que des lois propres aux systèmes que vous avez créés de façon totalement subjective, les concepts et axiomes définissant ces derniers ne correspondant en rien à la réalité. Une WAIS n'est pas un "outil clinique", ce n'est pas une radiographie de l'intelligence ! Ce n'est qu'un simple regroupement d'épreuves complètement arbitraires destiné à établir un score étalonné à un concept tout autant subjectif.

Attention, je n'ai rien contre vous personnellement. Je ne doute pas de votre compétence pour aider les gens, mais si compétence il y a, elle est selon moi bien antérieure à votre formation et provient de caractéristiques personnelles, telles qu'une forte propension à l'empathie et une certaine forme d'intelligence sociale. Quant à "5 ans de psychologie en long en large et en travers c'est beaucoup, que c'est une sacré spécialisation quand même", j'aimerais bien lire les cours spécialisés dont vous parlez, pas les copiés-collés du DSM-IV des psychiatres hein, les vrais cours de "psychologie clinique", ceux écrits par de vrais psychologues, comme ceux de Bergeret par exemple. Ah mince, il est psychiatre lui aussi. Il doit bien y en avoir quelques-uns au milieu des cours simplifiés de neurosciences et de psychopharmaco dispensés par les facs de bio. Non, je vous charrie, il reste toujours la psychologie sociale et ses "dispositifs expérimentaux", la psychologie cognitive et ses "modèles", la psychologie différentielle et ses "tests de personnalité scientifiques" (bel oxymore !) et j'en passe. Autant d'"outils" pour un "clinicien", n'avez-vous jamais peur de ne pas savoir lequel choisir ?

Plume a dit…

Je crois, madame? monsieur? que vous vous trompez de colère.
C'est la vôtre que vous énoncée ici, pas la mienne. Vous êtes en colère contre les psychologues, soit, cela vous appartient, et je ne doute pas que vous trouverez le moindre indice porté à votre connaissance dans la société pour amonceler des arguments pour légitimer votre colère, faites comme bon vous semble.

La mienne se limitait au déclassement de ma profession. Et je ne ressent aucun besoin de justifier ici de mon titre ou de sa validité. Il ne suffit pas que vous cherchiez à me démontrer que ma profession n'a pas de valeur pour que cela en devienne une vérité.

Et sans chercher à vous en convaincre car cela ne m'importe pas, je vous le dis: je ne prendrais pas le métier de psychiatre si on me l'offrait sur un plateau d'argent. J'ai choisi le mien en toute conscience et en étant totalement capable intellectuellement de choisir l'autre.
Je suis sûre que vous trouverez sur la toile de nombreux autres psychologues à vilipender durant vos temps libre. Bien à vous.

Ciarlatano a dit…

Désolé si je vous ai offensée, là n'était pas mon intention.

Comprenez bien que je ne suis pas "en colère contre les psychologues", la profession est louable, après tout, vouloir aider les gens est difficilement répréhensible. Ce sont les connaissances universitaires et la nature de la psychologie académique qui sont pour moi sans fondement. Or, ce sont ces dernières qui justifient le statut de cadre dont vous parlez. C'est pour cela qu'en lisant "Et un fleuriste peut si ça lui chante devenir psychothérapeute en 400h + 5 mois de stage, allons-y! Ca va être la grande fête du n'importe quoi!!!", je ne peux qu'être en désaccord. Qu'avez vous par essence de plus que ce fleuriste qui fasse que vous soyez davantage en mesure que lui d'exercer une psychothérapie ? Peut-être en est-il très à même, peut-être pas, mais en tout cas ce n'est pas le cursus universitaire de psychologie qui doit faire la différence selon moi. Et ce ne sont pas des "indices portés à ma connaissance dans la société pour amonceler des arguments" qui me font dire ça, mais bien le résultat d'une étude de la psychologie telle qu'elle est enseignée dans nos universités.

Après, je comprends que vous défendiez votre gagne-pain et que vous souhaitiez protéger ce qui vous permet de "bouffer" comme vous dites. Et ça, comment pourrais-je vous le reprocher ? C'est pour moi une raison suffisante et légitime, contrairement à la possession de diplômes en sciences humaines et sociales qu'il vous arrive de mettre en avant. Cependant, est-il nécessaire pour défendre votre légitimité d'exercer que vous vous attaquiez de façon aussi puérile et infondée aux professions médicales ? Car si vous ne les jalousez pas, pourquoi diable donc s'insinue la douce ironie de "Un nouveau décret a décidé que c'est le psychiatre. C'est sûrement vrai alors!" dans votre propos ? Sans parler des "Tout le monde doit se taper des formations et des stages en plus, sauf lui", qui me rappellent mes doux caprices d'enfance, quand mon grand frère qui avait bien travaillé à l'école savourait une glace à laquelle je n'avais pas droit...

Vous n'améliorerez pas votre image en dénigrant celle des autres professions, je parle de celles avec qui vous êtes censés travailler en collaboration, pas vous sentir en concurrence (médecins psychiatres, psychothérapeutes de formations diverses...). Il ne suffit pas de réduire la profession de psychiatre à un distributeur automatique de médicaments ("C'est pas magnifique? Un petit lexomyl? Vous avez l'air sur-excité et je sais pas quoi faire pour vous calmer") pour que cela soit vrai...

Bien à vous.